FRANCE: Une télévision sans pub
Depuis plusieurs mois, le monde des médias et au-delà bruisse des réactions au projet de supprimer la publicité sur les chaînes de la télévision publique, lancé par le président de la République le 8 janvier.
Pourfendeurs et défenseurs de la réforme présidentielle confrontent leurs arguments. Mais tous affirment parler au nom dun seul et unique principe : la promotion dune télévision publique de qualité. Pour les uns, larrêt de la publicité inaugurera « la fin de la tyrannie de laudimat » (selon les termes de Nicolas Sarkozy) et laissera le champ libre à une programmation plus exigeante et créative. Pour les autres, elle asséchera les ressources de manière si pénalisante que le service public ne proposera plus que des émissions au rabais, loin de cette qualité tant espérée.
« Respectueuse des gens »
Quel que soit son « camp », comment ne pas adhérer à cette recherche de qualité sous-entendu, de bonne qualité pour le service public audiovisuel ? Mais que signifie précisément ce mot, aussi flou que consensuel, appliqué au premier loisir des Français ?
« Une télévision de qualité est une télévision respectueuse des gens, affirme le réalisateur Patrick Volson, auteur notamment de la série Privés de télé (2005) sur Arte (1). Ne pas considérer le spectateur comme un consommateur imbécile qui avale tout, pourvu que lemballage soit séduisant ! Mais aussi, en tant que réalisateur, respecter ceux que lon filme, tout particulièrement les personnes en situation de fragilité, ne jamais se servir deux »
A cette idée de respect partagé, Jean-Pierre Igoux, coprésident du Groupement 25 images qui rassemble nombre dopposants à la future réforme, ajoute celle de dignité. « Cest un terme qui nest plus vraiment à la mode, je le sais bien. En tant que bien public, la télévision appartient aux citoyens. »
Le nécessaire orgueil de ceux qui font la télévision
Député européen, ancien président de Radio France et fondateur de La Cinquième, Jean-Marie Cavada, favorable depuis de longues années à la suppression de la publicité sur le service public, souligne, pour sa part, le nécessaire orgueil de ceux qui font la télévision : « On ne crée par de bons programmes, on ne se bat pas efficacement pour les imposer si lon néprouve pas dorgueil à les défendre ! », insiste-t-il.
Selon lui, dans un univers dâpre concurrence entre les chaînes, la qualité implique une courageuse pugnacité de la part des dirigeants. « Une attitude inverse de celle qui règne bien souvent, analyse Hélène Risser, journaliste spécialiste des médias à laquelle on doit notamment lexcellente émission de décryptage« Déshabillons-les », sur Public Sénat. Actuellement, on cherche à minimiser les risques, à se border en employant toujours les mêmes recettes, les mêmes animateurs
Or la qualité vient justement de la prise de risque. »
« Bernard Pivot, un modèle parfait »
Respect, dignité, orgueil, prise de risque Comment juger quune émission répond à ces louables critères et, chose essentielle, rencontre un écho positif auprès du public ? « Si lon regarde les émissions passées ou présentes, les exemples sont simples à trouver, affirme Jean-Pierre Igoux. Regardez Bernard Pivot, un modèle parfait : il faisait précisément une télévision de qualité, qui cultivait, éveillait la curiosité sans jamais ennuyer, ce qui est fondamental. Regardez aussi, plus près de nous, les fictions comme Nuit noire dAlain Tasma ou Un amour à taire de Christian Faure : elles remplissent exactement la même fonction ! »
Pour Jean-Marie Cavada, la définition tient en un axiome : « Exigence du fond, simplicité et modernité de la forme. Vous ne pouvez faire en 2008, les émissions des années 70 ou 80. Cest exactement comme la presse écrite qui adapte régulièrement ses maquettes à lévolution du temps. En revanche, je minsurge quand jentends dire que des sujets comme lhistoire ou la littérature sont devenus vieillots et nintéressent plus le spectateur moderne. Rien nest vieillot si la manière de lévoquer est innovante et intelligente ! Ces réflexions sur la qualité ne datent pas dhier. Nous avons créé La Cinquième en 1994 exactement pour cela : trouver une parade à la dégradation de la qualité sur les chaînes publiques dalors
»
Changement de contexte économique
Prendre le passé pour modèle semble à la fois inévitable et handicapant, dautant que le contexte économique a radicalement changé : concurrence entre les chaînes, bras de fer entre le service public et les antennes commerciales.
Selon Patrick Volson , « cette ouverture à la concurrence a sonné le glas dune certaine qualité. Dans laudiovisuel, le marché ne va pas dans le sens de lamélioration du produit, au contraire. Il entraîne une consommation facile et immédiate qui tire les choses vers le bas. »
Le réalisateur naspire pas pour autant à un retour à une « qualité made in ORTF ». « Je crains un repli vers un classicisme académique, appliqué aux seuls genres nobles comme la fiction. Or la qualité doit être créative, en prise avec son époque. Toutes les émissions sont concernées : les jeux, les divertissements méritent aussi quon les soigne, comme lont fait autrefois Jean-Christophe Averty ou Denise Glaser. »
Des programmes divers pour des publics différents
Favorables ou opposés aux projets présidentiels, ces professionnels soulignent tous la nécessaire diversité des programmes, qui sadressent à des publics différents et non à un public standard : « Entre la fameuse ménagère de moins de 50 ans qui obsède les publicitaires et le surdiplômé auquel sont destinés certains programmes dArte, il y a place pour bien dautres téléspectateurs », revendique Jean-Pierre Igoux.
Reste alors à déterminer qui définira les critères de qualité « Ce nest certainement pas le rôle du pouvoir politique, assure Hélène Risser, en réaction à la décision de Nicolas Sarkozy de nommer désormais directement le président de France Télévisions (actuellement désigné par le CSA). Je crois quil faut instaurer davantage de souplesse dans le système au lieu de le verrouiller. En laissant notamment le temps aux émissions de trouver leur public. À limage de ce qua su faire France 3 avec la quotidienne culturelle de Frédéric Taddeï. »
Car le service public actuel na pas entièrement déserté le terrain de la qualité. Jean-Marie Cavada prend acte du virage éditorial « sensible » même si lon sent bien quil le trouve un peu timide amorcé par le président de France Télévisions Patrick de Carolis.
Tandis que Jean-Pierre Igoux propose une comparaison toute simple : « Prenez le jeudi, deuxième partie de soirée : sur France 2, vous avez, après Envoyé spécial, une remarquable case documentaire intitulée Infrarouge. En face, sur TF1 La méthode Cauet ! Comment peut-on dire que cest la même chose, à moins dignorance ou de mauvaise foi ? »
Emmanuelle GIULIANI
(1) dont La Croix fut partenaire.